Le temps passe trop vite, et nos vies prennent des tournures que jamais nous n’aurions pu prévoir. À tel point qu’il est facile, à un moment de confusion, d’égarement, d’oublier d’où on vient. Aujourd’hui plus que jamais, je sens cet instant approcher, et je n’ai d’autre choix que de mettre par écrit tout ce qui a pu marquer mon passé. Mon Histoire.

Je suis né le 8 novembre de l’année 1980 d’une mère qui mourut un mois plus tard d’une overdose. Je n’ai jamais connu mon père, et atterrit donc presque directement dans un orphelinat, les parents de ma génitrice ne voulant rien avoir à faire avec son ultime erreur. J’étais ensuite placé dans une multitude de familles d’accueil toutes aussi douteuses les unes que les autres, je n'ai pas spécialement envie d'y repenser d'ailleurs, avant d’arriver chez les White. J’avais 7 ans lorsque l’assistante sociale me déposa chez eux. À première vue, Tom et Annie n’étaient pas plus aimants que mes précédentes familles, mais au moins ils n’étaient pas violents, donc tout était plus ou moins calme chez eux, jusqu’à ce que Tom soit tué dans un terrible accident de voiture. En temps normal, un décès dans une famille d’accueil est synonyme de fin de l’hébergement, mais sans que je ne sache pourquoi, Annie entra dans une véritable bataille juridique pour conserver ma garde. Elle devint instantanément beaucoup plus maternelle envers moi, comme pour combler le vide qu’avait laissé son époux en mourant… Quoiqu’il en soit, elle finit par obtenir ma garde définitive et m’adopta peu après. Ma vie en fut bien sûr bien plus belle soudainement, Annie avait beau ne pas être très riche, elle m’apportait ce que je n’avais jamais eu jusqu’alors, de l’amour.

Je grandissais donc dans un quartier assez pauvre de Seattle, et une fois au lycée, j’intégrais très vite l’équipe de lacrosse, sport dans lequel j’excellais à la surprise de tous. Je devenais presque populaire, mais personne n’adore véritablement le garçon pauvre et adopté du coin, je me faisais donc discret, tout en m’intégrant très facilement grâce à mon équipe. Ma dernière année est perturbé par les soucis d’argent de ma mère adoptive. Le prêt pour la maison et les impôts resserre la corde autour de son pauvre cou, et pour l’aider, je me mets à remplir de petits boulots plus ou moins honnêtes. Du jardinage au vandalisme et trafic de drogues, tout est bon pour sauver de la ruine celle à qui je dois tout, mais on ne joue pas avec le feu si longtemps sans se brûler. Je passe quelques mois dans une maison de correction pour mineur, avant de retourner au lycée pour passer mes examens. La tension à la maison est palpable, mais je fais mon maximum pour regagner la confiance de ma mère, et après avoir échoué à l’obtention du diplôme de fin d’année, je décide de ne pas le retenter et travaille comme assistant avec un voisin plombier. Il m’apprend toutes les ficelles du métier, et je commence à me faire à l’idée que je ne ferais jamais de choses extraordinaires comme je le pensais dans ma vie. Je serais plombier, et c’est tout. Annie se remarie à un homme aisé financièrement qui l’aide alors à sortir la tête de l’eau mieux que je n’avais su le faire en plus de deux ans. Mon beau-père et moi nous entendons plutôt bien, il est chef de la caserne de pompier de Seattle, et me prend sous son aile. Ce métier me plait, aider les gens, les sauver, je sens que c’est ce qui pourrais me faire vibrer, me donner envie de me lever tous les matins. Ma motivation me fait vite passer pompier et non plus apprentie.

Un soir, pour une œuvre caritative, certains pompiers de Seattle participent à un match de hockey sur glace contre les pompiers de San Francisco. J’assiste à la rencontre et me découvre un véritable amour pour ce sport qui est une sorte de lacrosse sur glace finalement. L’un des joueurs de Seattle se blesse, et je me propose immédiatement pour le remplacer. Je n’ai jamais porté de patins à glace, mais je prends soin d’observer les autres joueurs, et apprend en une fraction de seconde à me déplacer sur la glace. Contre toute attente, je suis très bon, à tel point qu’à la fin du match, un entraineur me propose d’entrer dans son équipe. Il me promet une bonne équipe de Ligue 2, un bon salaire, et puisque mon emploi du temps me le permet, j’accepte. Les choses vont alors très vite, je m’améliore à vitesse grand V, devient titulaire et quitte la caserne pour me donner plus de temps à l’entrainement. Ma mère et mon beau-père s’insurgent en apprenant ma décision, mais je m’en fiche, je me brouille avec eux le même jour où je décroche un contrat en première division et l’argent pleut littéralement sur moi. Les médias me portent en héros lorsque je marque le point décisif qui apporte la victoire à mon équipe durant la finale du championnat national. C’était une époque où je ne me connaissais plus de limites. Je rencontrais Alyssa le soir de mes 23 ans alors que mes co-équipiers m’avaient organisé une soirée d’anniversaire démente. Elle était mannequin, magnifique, autant à l’extérieur qu’à l’intérieur. Nous nous mîmes en couple très vite, elle avait une bonne influence sur moi, et je reprenais contact avec ma mère sous son insistance. Pour elle, rien n’était plus important que la famille, et je redevenais peu à peu l’homme que j’étais avant la gloire et ma cupidité grandissante. Je redevenais ce fils dévoué et humble, pour ensuite me changer en l’homme le plus heureux de la Terre lorsque la belle acceptait ma demande en mariage. Ma carrière était au plus haut, tout comme ma côté de popularité lorsque ma nouvelle épouse créait sa propre fondation pour venir en aide aux orphelins, une cause que je lui avais moi-même inspiré à défendre selon ses propres dires. Mais la vie est ainsi faite que le long fleuve tranquille rencontre toujours un obstacle qui déchire le calme plat de l’eau claire, pour la rendre plus sombre et tumultueuse que jamais.

Je me rappelle de ce jour comme si c’était hier, ce soir-là, nous affrontions les New York Rangers, une équipe de poids dans le championnat. J’avais déjeuné avec Alyssa avant de me rendre à l’entrainement. Elle pensait prendre sa "retraite" bientôt pour pouvoir fonder une famille, et me demandait si j’étais prêt à quitter le hockey moi aussi pour nous poser à deux. La peur et le doute s’était emparé de moi, et même si au fond, je savais que ma réponse était positive, qu’être au près d’elle était la seule chose qui donnait du sens, une saveur à ma vie, je lui donnais juste un « Je vais y réfléchir. » comme réponse. Et ce fut la dernière chose que je lui ai dite. A la fin du match, alors que l’équipe célébrait déjà notre victoire dans les vestiaires, j’allumais mon portable, et y découvrait un message vocal. D’Alyssa, la voix sanglotante. « Vaan, je t’aime, de toutes mes forces, de toute mon, de toute mon âme, je t’aime tu entends, et, je veux que tu me, je veux que tu me promettes que même si je meurs… je veux que tu me promettes que tu continueras à vivre ta vie, je t’aime Vaan, je… vais mourir, mais je t’aime *elle suffoque*, ne t’en veux pas, et *suffoque* reste fort, pour moi, je *suffoque*… Vaan… … … … … … … … » Une fois le message terminé, je restais quelques secondes, prostré, avant de partir en vitesse jusqu’à ma voiture, paniqué comme jamais. Lorsque j’arrivais à notre maison, les pompiers éteignaient encore les dernières flammes, et une fumée noire se dégageait lourdement du toit.

Plusieurs mois après l’enterrement de ma femme, j’étais viré de mon équipe de hockey sur glace. J’avais perdu tout amour du jeux, j’étais profondément dégouté de ce sport, et même le gros chèques qu’ils m’offrirent pour rompre mon contrat ne sut me redonner ne serais-ce qu’une once de joie. Je ne faisais plus rien de ma vie, je m’isolais dans ma nouvelle maison, ce foyer qui ne serait jamais aussi beau que celui qui partit en flamme avec elle, puisque jamais il ne serait ébloui par son aura. C’est un soir, à cours d’alcool et presque sobre que je sortais finalement de mon antre pour me fournir à nouveau en boisson, mais c’est tout autre chose que je trouvais finalement sur ma route. En regardant péniblement le ciel alors que la lumière des lampadaires m’aveuglait avec violence, je perçus un épais nuage noir trouer le ciel. Ce nuage eu l’effet d’un véritable électrochoc, je m’élançais à toute vitesse et trouvait une maison en feu entourée de pompiers. Ces derniers hurlaient à leur collègue de sortir de toute urgence, le toit était apparemment sur le point de s’effondrer. Ni une ni deux, pris par l’adrénaline et le souvenir tentateur de ma défunte épouse, je pénétrais dans le taudis de flammes comme une fusée. Ma vision semblait autant troublée par la chaleur que par les restes d’alcool qui hantaient mes veines, mais je parvins malgré tout à me reconcentrer et me faufilais à travers le feu, sauvant finalement un pompier dont la jambe était transpercé de part en part d’un bout de chandelier. Je n’en sortais ceci dit pas intact non plus, le risque inconsidéré que j’avais pris m’avait valu une belle brûlure à l’épaule et au mollet, mais qu’importe, je ne m’étais jamais sentie aussi bien depuis longtemps, jamais aussi vivant, et proche de ma femme. C’était comme une évidence, un signe qu’elle m’envoyait pour me sauver, je rejoignais donc à nouveau le corps des pompiers de Seattle, mais tout ne se passa pas exactement comme prévu. J’étais incroyablement indiscipliné, prenais des risques énormes à chaque intervention, l’adrénaline m’envahissait plus que n’importe lequel d’entre nous, et je m’enfonçais dans les situations plus dangereuses sans sourciller. Je sauvais des personnes, oui, mais me retrouver à battre des records de visite à l’infirmerie. Je fus bien évidemment très vite mis à pied, et décidais de partir, de me faire transférer dans une autre caserne plus petite et moins sollicitée, où je risquerais peut-être moins de mourir. Même si d’un côté, le danger des flammes m’exaltait, le danger tout court était ma drogue, je prenais conscience durant mes congés forcés que ce que je faisais été mal. Je me repassais le message d’Alyssa, ces derniers mots, et j’avais l’impression de l’avoir trahie en mettant à ce point ma vie en péril.

C’est ainsi que j’emménageais à Cherokee peu après mon 31ème anniversaire. Un nouveau départ pour moi, certains me connaissaient du hockey, mais globalement, mon ardoise était parfaitement propre aux yeux des habitants de cette ville...