+ and the colors change, you're dreaming.
J’adore sa robe blanche qui vole derrière elle quand elle court. Elle s’arrête, se tourne vers moi et éclate de rire. J’adore sa voix cristalline et ce mouvement qu’elle fait quand elle met ses cheveux bruns derrière son oreille. « Jaxon, c’est toi le chat ! » elle crie. Je souris et m’élance à sa suite. J’ai l’impression qu’elle vole, que ses pieds ne touchent pas le sol. Lila a l’air d’un ange tombé du ciel, d’une princesse de conte de fée. Essoufflée elle s’arrête et je lui rentre dedans de plein fouet. « Pardon. » je dis de ma petite voix d’enfant, terrifié à l’idée qu’elle pleure. Elle essuie la terre sur sa joue et rit encore, et je me relève en l’aidant à son tour. « Et si on jouait à cache-cache ? » elle propose. Je hoche la tête et lui dis d’aller se cacher, que c’est moi qui vais compter. C’est la dernière fois que je la verrai, mais ça je ne le sais pas encore. « … vingt-neuf, trente ! J’arrive ! » Je l’ai cherchée longtemps. Tellement longtemps qu’à la fin, j’en ai même pleuré tant je suis énervé contre elle. « C’est plus drôle, sors de ta cachette maintenant ! » Boudeur, je m’assois et croise les bras. « Je jouerai plus avec toi. » je précise, comme si elle pouvait m’entendre. Après ça, c’est la panique. Mes parents courent partout en criant le nom de Lila et me hurlent dessus quand je dis qu’on joue à cache-cache. « Ce n’est plus un jeu, Jaxon ! » Je ne comprends pas ce qu’ils veulent dire, je suis trop jeune. Je m’extasie devant les gyrophares de la police et me bouche les oreilles à cause de la sirène qui hurle. Tous les voisins se regroupent autour de nous et leur curiosité malsaine suinte par tous les pores de leur peau. Il me faut quelques jours pour comprendre que Lila ne reviendra pas. Lila est loin de moi, et c’est la chose la plus douloureuse qui soit. Qui peut comprendre ce sentiment qui unit des jumeaux ? On m’a arraché une partie de moi-même, la plus importante ; mon cœur, mon âme.

+ let your troubles slip from your mind.
« Alors c’est ce genre de musique qu’écoute Jaxon Kaynes le rebelle ? Je pensais plutôt que tu serais du genre à écouter le hit parade. » Elle replace mon écouteur dans mon oreille. Je souris et mes yeux roulent dans mes orbites. « Et toi alors, c’est quoi la musique que tu écoutes ? De la musique classique comme tes bourges de parents ? » Elle tire la chaise et s’assied en face de moi en répondant à mon sourire. J’adore son sourire. J’adore sa façon de mettre ses cheveux derrière son oreille. Et j’adore sa voix. Mon cœur se serre ; je pense à Lila. Je ne me souviens presque plus d’elle à présent, mais je me rappelle qu’elle faisait ça, elle aussi. « Ça ne va pas ? » elle demande. Je hausse les épaules, l’air passablement indifférent. « T’es pas obligé de me mentir. » elle ajoute. « Parce que le petit rat de bibliothèque qui n’a pas d’amis s’y connait en relations humaines ? » Si elle est vexée, elle ne le montre absolument pas. Elle referme son livre et se mordille la lèvre, pensivement. « J’ai un père psychologue, imagine ce que je subis à la maison. Je connais toute la théorie sur le comportement humain. » Amusé, je lâche un petit rire et croise les bras. « Ça reste de la théorie, la pratique c’est différent. » Elle acquiesce et pose son menton sur la paume de sa main. « Alors apprend-moi ce que c’est qu’avoir des amis. » Je secoue négativement la tête. « Non merci. Par contre, je veux bien t’apprendre à être ma petite amie. » Elle rougit violemment et éclate de rire. La bibliothécaire lui dit de faire moins de bruit et elle rougit encore plus. Je sais que je suis trop franc, mais ça fait mon charme. Il parait. Elle se lève, range sagement sa chaise et s’éloigne. Alors que je pense me prendre le plus gros râteau de l’histoire de l’humanité, elle se retourne et lance : « D’accord ! Viens me chercher vers dix-neuf heures, samedi ! » Je ne sais pas ce qu’il me prend. Mais il faut dire ce qu’il en est : je suis fou amoureux d’elle et ce depuis la première seconde où je l’ai vue. Nouvelle dans notre lycée, elle est totalement renfermée et timide … Mais totalement populaire auprès des garçons. Sauf que c’est moi qui l’ai, et personne d’autre. Mon cœur bat tellement vite que je n’arrive plus à réfléchir. Je souris bêtement, et pendant quelques minutes j’oublie que ma vie n’est pas si heureuse que ça.

+ close your eyes but not to weep.
« Et donc là ils se prennent un penalty et c’est Kaka qui va tirer, donc forcément ils flippent leur slip et … » Je l’arrête. « La ferme Teddy. » Il se tait suit mon regard. Un peu plus loin, une voiture noire aux vitres teintées vient de se garer. L’homme ouvre la portière côté passager et une jeune fille ravissante à la tenue aussi courte et provocante qu’elle est belle se pend à son cou, avant de l’embrasser. Mon sang ne fait qu’un tour, j’étouffe, me prendre un coup de couteau aurait été moins douloureux. Teddy me regarde et me tient par le tee-shirt pour ne pas que je me lève. « C’est peut-être son frère, t’en sais rien ! » J’explose, fou de rage : « Son frère ? Tu me fous de ta gueule ? … Enfin tu te fous de ma gueule ?  T’embrasses ta sœur sur la bouche toi ?! » Il réfléchit un instant. « J’ai pas de sœur, mais si … » Je me sens obligé de le couper encore, sinon il n’arrêtera plus de parler : « Ferme-la Teddy ! » Je me lève et traverse la rue en courant. Pas besoin de les appeler, ils m’ont déjà vu quand j’ai crié. Elle est là, dans sa robe noire avec son rouge à lèvre, et son air de biche prise au piège. Elle est tellement belle, tellement éblouissante ! Je reconnaitrais ces yeux entre mille, et pourtant elle a l’air d’une étrangère à présent. Elle n’essaye même pas de se justifier ; elle fond en larmes et tente de me retenir, alors que je suis à deux doigts de frapper le mec de l’équipe de football américain qui l’accompagne. « T’es ridicule. Tu me dégoutes, t’es totalement superficielle ! Je pensais enfin rencontrer une fille qui avait quelque chose dans le cerveau, mais t’es comme toutes les autres ! Tu vaux rien. » Je crache, avant de m’éloigner mains dans les poches. Elle crie mon nom et je lui fais un monumental doigt d’honneur sans me retourner. J’ai envie de fuir le plus loin possible. Je meurs à petit feu, j’agonise. Les larmes débordent et je m’appuie contre le mur. Teddy arrive à ma hauteur et me prend dans ses bras. Je ne peux pas lutter, j’ai besoin de soutien. Je le serre contre moi et mes sanglots redoublent d’intensité.

+  there's no sense in keeping the time.
J’ouvre les yeux avec difficulté. Teddy dort encore à côté de moi, je cligne des yeux. Blottit contre lui avec un mal de crâne monumental, je tente de me rappeler des récents évènements. Tout me revient alors en mémoire et je ferme les yeux, honteux de mes propres faits et gestes. Je pense à celle qui fut l’amour de ma vie et je pense à ce bar dans lequel on a échoué, pour que j’oublie que ma vie était finie. J’étais tellement ivre que Teddy m’a proposé de me raccompagné. Je lui ai répondu que je préférais aller chez lui et je me suis laissé tomber sur son lit. Il a dit qu’il allait dormir sur le canapé et que si j’avais besoin de quoi que ce soit je pouvais le réveiller. Je l’ai retenu par la main et je lui ai dit de rester, qu’entre amis on pouvait bien dormir ensemble. Il s’est allongé et j’ai souri, avant de lui demander si il préférait vraiment les femmes. Il a froncé les sourcils et je l’ai embrassé. Il m’a repoussé en disant que j’étais bourré et que je faisais une connerie, et j’ai dit que j’en avais envie. Je rougis et serre les dents. Est-ce que Teddy se souviendra de ça, à son réveil ? J’espère que non, j’aurais trop honte. J’ai passé ma main sous son tee-shirt et caressé son torse, et notre baiser est devenu plus langoureux. J’aimais bien sa main qui caressait ma taille et mon ventre, je n’avais jamais connu ça auparavant. Alors je l’ai laissé faire sans me soucier des conséquences, je n’étais pas en état. Je m’assieds brusquement et prend ma tête dans mes mains. Qu’est-ce que je vais faire ? Fuir avant qu’il ne se lève ? Il s’étire et ouvre lentement les yeux. Je croise son regard et il sourit. « Bien dormi ? Je ne me souviens de rien, je ne sais même pas comment on a fait pour rentrer jusqu’ici. » Il ment. Mais ça me convient très bien, et ça semble lui convenir ici. Pourtant, je crois que je ne pourrai jamais oublier cette sensation étrange que j’ai ressentie dans ses bras. Peu importe, c’était une erreur. Alors je repense à elle, et j’ai de nouveau envie de pleurer et de crier, et de taper sur tout ce qui bouge.

+ we accept the love we think we deserve.
Liberty. Cette fille que je ne connaissais que de vue partage à présent ma vie. Elle est ma colocataire depuis quelques mois. La vie avec elle est assez amusante, bien qu’elle ne soit pas de tout repos. On a tous les deux des sacrés caractères et les disputes sont fréquentes. Généralement, on se bat pour savoir qui descendra les poubelles, ou bien parce que ses chiens me détestent. « Ferme-la ou je te jette par la fenêtre. » je le menace en jetant un chocapic sur sa tête. Elle passe derrière moi et me donne une claque derrière la tête. « C’est toi que je vais jeter par la fenêtre. » Je ricane et elle sourit aussi, amusée et agacée à la fois. « Ça s’est bien passé cette nuit ? » elle demande. « Hm hm. » je hoche la tête, fatigué. J’ai décidé d’arrêter mes études. A la place, je travaille comme barman dans une boîte de nuit de temps à autre. En fait, je suis loin de manquer d’argent car mes parents sont aussi riches qu’ils peuvent l’être. J’ai de très grosses économies, et mon boulot est assez bien payé. Mes parents ont très mal accepté le fait que je décide d’arrêter des études de droit qui ne menaient à rien. Je leur ai répondu que je m’en foutais totalement, et qu’ils n’avaient qu’à faire plus attention à moi plutôt que d’espérer le retour d’un fantôme. Mon père m’a mis une claque monumentale et même si je l’ai méritée, ça a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. La semaine suivante, je décidais de quitter la maison pour vivre ma vie. C’est comme ça que j’ai emménagé avec Liberty qui arrivait à peine d’Australie. « Marlon vient ce soir ? » je m’enquis, un sourire qui se veut pervers aux lèvres. « Je pense que je vais sortir. » je conclus. Mes amis sont tout ce qu’il me reste, mon « gang » de jeunes fracassés par la vie ma raison de vivre. Avec eux je m’assieds sur les toits et j’oublie que j’ai peur du vide, je fume en regardant le soleil se lever, je refais le monde à ma manière. On brusque un peu les gens, mais on est pas méchants. Et puis Teddy est là pour nous calmer, quand on dépasse les bornes.

+ we're young, and we are infinite.
« T’es pas un peu jeune pour fumer ? » Elle lève les yeux vers moi et hausse un sourcil. « T’as pas quelqu’un d’autre à aller emmerder ? » Plutôt vulgaire, pour une gamine. « T’as quel âge, douze ans ? Tu veux que j’appelle tes parents ? » Elle se lève et me lance un regard meurtrier qui m’arrache un sourire. Pourtant, quand elle écrase son mégot sur mon sac en cuir, je rigole beaucoup moins. « Tu me lâches, oui ? Sinon tu vas le regretter ! » J’éclate cette fois de rire, ce qui semble l’énerver plus encore. « Ouuuh, j’ai peur ! C’est toi Victoria Hastings ? » Elle secoue la tête en signe de négation. « Non, moi c’est Athéna. Comme la déesse de la guerre. » Je fronce les sourcils et hausse les épaules, avant de tourner les talons. « Ok je me suis trompé, à plus alors ! » Elle grogne, tape du pied et concède : « Ouais d’accord c’est moi, qu’est-ce que tu me veux ? » Je rencontre enfin ma plus grande rivale. Son gang et le mien sont ennemis depuis peu, depuis qu’elle est arrivée en ville. Tout le monde la prend comme chef, parce qu’elle dégage ce putain de truc qu’on appelle charisme. Elle n’a peur de rien ni personne, elle est pleine, entière, vivante. C’est le genre de fille qui a tout vécu avant l’heure et qui n’attend plus rien de la vie en apparence, et tout à l’intérieur. La fille qui crache sur le Prince Charmant mais rêve de monter sur son cheval blanc. « T’auras jamais le dessus. » elle lance, provocatrice. J’attrape son menton d’un geste doux et approche mon visage du sien. « Tu ne peux pas rivaliser, t’es encore qu’une gamine. Apprend la vie, et reviens après. » C’est peut-être en trop. Sa jambe s’abat entre les miennes et je tombe à  genou, le souffle court. « Désolée chéri, c’est parti tout seul. Après ça, tu crois que tu pourras encore donner la vie ? Hahaha. » Elle s’éloigne en ricanant, de sa démarche gracieuse et féline. Avec sa veste en cuir et ses vieilles baskets, elle a l’allure de ces filles que j’adore, sur les posters de ma chambre. Athéna, je t’aime.

+ previously, in cherokee ...
« On l’a retrouvée. » Ces quelques mots tombent comme une sentence. La voix de ma mère est tremblante au téléphone, je n’arrive même pas à croire ce que j’entends. Ma mâchoire tremble autant que sa voix, et je la fais répéter, au cas où j’entendrais mal. On a retrouvé Lila elle me dit encore. Quinze ans. Quinze ans qu’elle est sortie de nos vies. Mes parents avaient peut-être encore espéré, moi non. Je n’y croyais plus. Pour moi, Lila n’existait plus. Je raccroche sans prendre la peine de dire au revoir et sors de la maison en trombe. Lila est là, allongée sur le lit d’hôpital. Elle ressemble tellement à l’image que je me faisais d’elle ! Ses cheveux bruns sont toujours aussi longs. Elle est pâle comme la mort, fragile comme une poupée. J’ai envie qu’elle ouvre les yeux, de la serrer dans mes bras. Je n’ose même pas l’effleurer, j’ai peur de la briser. Je ne sais pas si je suis heureux ou malheureux, sans doute les deux en même temps. Je me demande comment c’est possible d’être heureux et malheureux à la fois, mais je suppose que personne n’a la réponse. Nous attendons des mois avant qu’elle ne donne signe de vie. Quand elle ouvre les yeux pour la première fois, elle les referme bien vite, visiblement épuisée. Mais l’impensable se produit ensuite : elle ne nous reconnait plus. « Je … Je ne vous connais pas. » dit-elle l’air effrayée, s’éloignant le plus possible de moi. « Quoi ? Mais c’est moi, Jaxon ! Ton frère jumeau ! » je m’exclame. Elle ouvre la bouche, la referme, tombe à moitié du lit tant elle cherche à mettre de la distance entre nous. « Va-t’en, je ne te connais pas ! » elle crie. Je me lève, écarquille les yeux. Je sors et erre dans les couloirs. Je croise mes parents, leur dis que ce n’est pas la peine d’y aller. Lila emménage avec ce flic bizarre qui lui tourne autour et je ne cherche pas à la revoir. Pas tout de suite. J’ai trop mal au cœur pour faire le premier pas. C’est amusant de constater à quel point la vie c’est compliqué. Les choses changent, les gens qu’on aime s’en vont, mais la vie ne s’arrête pour personne.