« Bonjour, je m’appelle Seth. » Le psychologue me dévisage derrière ses lunettes rondes. Il écrit quelques mots sur son carnet tout en me demandant ce qui m’amène ici dans son bureau. « Je suis obligé, mes proches trouvent que je vais mal ces temps-ci et ne veulent pas me laisser tranquille à moins que je vienne vous voir alors me voilà. Je pense qu’ils ont tort, mais je vais endurer les séances. » Il me sourit et recommence à prendre des notes. Il me demande de lui raconter ma vie depuis le début jusqu'à aujourd’hui. Je ne vois pas à quoi cela va bien pouvoir servir, mais bon, je suis là pour les deux prochaines heures alors autant faire ce qu’il me demande. « Bon et bien, je suis né à Cherokee le 14 mai 1989. Je n’ai pas de frère, mais j’ai une petite sœur dont je n’ai jamais vraiment été proche même si je serais prêt à donner ma vie pour elle. Comme vous le savez sans doute puisque ça avait fait la une des journaux à l’époque, mon père s’est fait tuer devant mes yeux quand j’avais dix ans. Suite à cela, je dirais que j’ai beaucoup changé, j’étais un enfant sage et j’en suis devenu un invivable. Adolescent j’étais la terreur de mon lycée, j’étais gros, grand et musclé alors on m’appelait le monstre ou dans de plus rares cas la montagne. Je ne me suis jamais réellement intégré au lycée, d’ailleurs c’est à cette époque que j’ai quitté Cherokee pour New York afin de rejoindre un programme de football prestigieux. J’étais bon et mes parents espéraient que j’en fasse ma profession jusqu’à ce que je me blesse gravement un peu avant d’entrer à l’université et que subisse six opérations en l’espace de deux ans, ma carrière était finie avant d’avoir commencé… » Je marque une pause. Beaucoup de souvenirs encore trop frais refont surface. Elle a dû le remarquer puisqu’elle s’arrête d’écrire dans son carnet de note. Je ferme les yeux, me concentrant sur le présent et continue mon histoire. « Bref, je devais revoir mes plans d’avenirs mais non… j’ai abandonné l’université et j’ai lentement mais sûrement atteins le fond du baril. Je ne l’ai jamais quitté jusqu’à ce que je rencontre l’unique amour de ma vie… Julia. Mais bon à l’époque c’était surtout la fille de mon boss et mon boss c’était un mafieux de New York. Un russe qui souhaitait faire sa place parmi les familles italiennes traditionnellement associées à la grosse pomme. J’étais son garde du corps, mais je l’étais surtout devenu pour Julia. Elle me disait toujours qu’elle se sentirait mieux si elle me savait à côté de son papy pour protéger ses arrières. Je voulais lui donner la paix d’esprit et il faut dire que le papy payait bien. Mais au final c’est devenu plus que ça, j’ai dû tuer des gens pour lui. J’aurais fait n’importe quoi pour Julia et c’était elle qui me manipulait comme une vulgaire marionnette. J’étais fou d’amour pour elle, je n’avais plus tout ma tête. Mais comme toujours les choses ont fini par mal tourner… » Ma gorge se serre à l’évocation de ce souvenir. Je veux l’effacer de ma mémoire pour de bon, mais c’est impossible et je dois lui en parler, c'est pour ça que mes proches m'ont envoyé ici. « Au bout de ma deuxième année comme garde du corps et occasionnellement homme de main, j’ai été piégé par les fédéraux. J’avais été vendu pour être plus précis, ma relation avec Julia était secrète et je crois qu’il l’avait découvert alors il voulait se débarrasser de moi. Afin d’éviter la prison j’ai dû donner des informations aux fédéraux et je l’ai fait sans le moindre soupçon de culpabilité. J’avais récupéré toute ma tête maintenant que je n’étais plus sous le charme de Julia et je constatais qu’elle n’avait pas jugé bon de me prévenir des intentions de son père. Je détestais ça, j’ai vendu tous ceux dont je voulais me venger et pour ma propre sécurité je suis rentré à Cherokee après avoir fait mon témoignage en cour. Voilà mon histoire. Je ne vois pas vraiment ce qu’il y a de plus à dire... je suis arrivé ici et un promoteur de boxe qui avait vu une vidéo de moi sur youtube assommant un ancien champion du monde m'a contacté pour que je commence ma carrière, j'ai accepté et puis basta. » Il hoche la tête tout en terminant d’écrire je ne sais quoi sur son carnet. Il relève les yeux et me fixe du regard. Je perds patience et je lui saute à la gorge. Je perds toujours les pédales quand on me fixe comme ça, surtout quand j’ai l’impression qu’on porte un jugement sur moi comme c’est son cas.